Article / BONNES FEUILLES

Thierry Wickers – La grande transformation des avocats (Dalloz, Essai, oct. 2014, 331p., 22€)

L’essai de Thierry Wickers est paru à point pour la Convention Nationale des Avocats de Montpellier et l’on peut penser que la date de la parution ne doit rien au hasard.

Âgé de 60 ans, Ancien bâtonnier du Barreau de Bordeaux, ancien Président de la Conférence des Bâtonniers de la France et d’Outre-Mer, ancien Président du Conseil National des Barreaux, Thierry Wickers n’a rien à prouver comme le souligne le Professeur Christophe Jamin dans sa préface. L’auteur s’exprime de façon désintéressée pour l’avenir d’une profession.

Sur le plan de la forme l’on sait gré au Bâtonnier Wickers de la parfaite clarté de son exposé. Rares sont les mots qui échappent à la compréhension de l’homme ordinaire. Toute louange comporte une restriction. On aimerait connaitre le sens de la devise syldave mise en exergue « Eih bennek, eil blavek »; mais sous la plume d’un tintinophile la xénophobie ne peut être la règle. De même (p. 91), le mot « idiosyncrasie », quoique connu des dictionnaires, n’est pas du langage commun.

La démarche n’est pas celle de l’avocat chevronné, revenu de tout, qui raconte, de préférence en ayant la part belle, les souvenirs de son exercice professionnel. Elle n’est pas davantage celle d’un donneur de leçons faisant des préconisations qu’aucune mise en œuvre ne viendra jamais démentir.

L’analyse est résolument tournée vers la pratique et l’avenir, en insérant les problèmes du Barreau dans l’émergence incontournable de la mondialisation et du droit européen qui font craquer les règles et les structures traditionnelles.

A cet égard on remerciera l’auteur d’une richesse indéniable qui se traduit par la référence aux auteurs d’Outre-Manche, que de plus Thierry Wickers se plait à traduire lui-même. On soulignera aussi les nombreuses lectures empruntées au pays qui reste le plus libéral du monde, les USA.

Dans ce contexte l’on ne peut prétendre faire un commentaire exhaustif, mais on se bornera à évoquer les points où l’analyse est aussi novatrice que pertinente :

1. Le marché est la loi qui gouverne les avocats :

– la tradition du Barreau Français sur la vertu de désintéressement, sur l’incompatibilité avec l’exercice du commerce, a vécu.

– La réglementation spécifique de la profession (monopole de la postulation, tarif de la postulation, territorialité, etc…) ne tiendra pas indéfiniment face aux Directives européennes dont la transposition en droit interne s’impose (Directive Services du 12 déc. 2006). A cet égard on regrettera la brutalité des annonces d’Arnaud Montebourg, quand la pédagogie aurait dû être de mise.

2. Des mesures libérales relatives à la publicité s’imposent, car elles ont des répercussions importantes sur la compétitivité. Sur ce point l’auteur est déjà entendu puisque le décret d’application permettant la sollicitation personnalisée vient de paraitre, mais le libéralisme doit certainement percer de façon absolue.

3. Sans le dire l’auteur parait favorable à une évolution qui prête actuellement à la polémique : l’intégration des juristes d’entreprise au Barreau.

L’auteur n’écarte pas (p. 98) la possibilité pour l’avocat d’être en même temps juriste salarié en entreprise.

4. La question de la survivance des charges pour les avocats à la Cour de Cassation et au Conseil d’Etat parait à Thierry Weckers incongrue (p. 86), même s’il lui parait légitime de réserver l’accès aux juridictions suprêmes à une catégorie limitée d’avocats.

5. La question des capitaux extérieurs (p. 104) est soulevée et deux aspects doivent être envisagés. Peut-elle être retenue en droit interne ? Comment se comporter face aux cabinets étrangers qui ne respecteraient pas une prohibition mais voudraient exercer une activité en France ?

6. La régulation des avocats et notamment l’auto-régulation est mise en cause. Rejoignant ici les prises de positions publiques de l’auteur de ce site, ancien Président d’un Conseil régional de discipline, Thierry Wickers en appelle d’abord à une évaluation (p. 118). Il serait nécessaire de mesurer le nombre d’affaires jugées, année par année et d’indiquer l’auteur de la poursuite. Puis une banque de données devrait fournir l’accès aux décisions rendues, comme a su le faire le Conseil Supérieur de la Magistrature.

Sinon le risque est majeur, la profession pourra perdre son pouvoir d’auto-régulation, cette possibilité de gouverner la discipline, comme ce fut le cas en Australie en 2004 et au Royaume-Uni en 2007.

Quoiqu’il en soit l’auteur déplore à juste titre que la réforme de la procédure disciplinaire reste au point mort alors que tout le monde s’accorde sur le fait que le plaignant doit intervenir (p. 125) sous une forme ou l’autre.

7. L’accès au droit est également le souci de Thierry Wickers qui en souligne les carences actuelles.

Pour commencer l’auteur évoque le contentieux en cours contre le site « demanderjustice.com » dont il ne stigmatise pas l’exercice puisqu’il facilite l’accès à la justice.

Passant en revue les États-Unis et les pays occidentaux Thierry Wickers, montre, chiffres à l’appui (p. 144 et 145), qu’une grande partie de la population n’est pas en mesure d’accéder à un système organisé de résolution des conflits.

Des développements étendus sont alors consacrés à l’innovation (p. 154) : innovation dans la structure des cabinets, innovation avec les techniques de l’information, l’innovation et l’aide juridictionnelle.

8. La tendance à la standardisation ferait apparaître des possibilités nouvelles. Des sites pourraient se proposer comme intermédiaires pour mettre en ligne des demandes de prestations juridiques, processus que l’Etat pourrait adopter pour l’attribution de l’aide juridictionnelle (p. 204). L’idée est pour le moins originale.

9. Dans le domaine des services aux entreprises l’auteur tord le cou au mode si répandu de la tarification à l’heure qui contribue à faire se former le jeune collaborateur aux frais du client et aura contribué ainsi à développer les services juridiques internes de l’entreprise, celle-ci cherchant à satisfaire elle-même ses besoins juridiques.

10. Pour entrer dans une phase plus positive Thierry Wickers intitule une seconde partie (p. 219) « maîtriser la transformation ».

L’auteur ne peut ici éviter le sujet rebattu de la gouvernance de la profession (p. 223). L’existence des ordres, universellement admise, apparait alors comme un frein au développement de la profession, idée déjà retenue par le sociologue Lucien Karpik en 1995. Dans ce contexte les positions du Barreau de Paris, suspect de faire souvent cavalier seul, contribuent à affaiblir le Conseil National des Barreaux qui apparaitra comme une construction inachevée (p. 236), d’une efficacité bien moindre que le Conseil Supérieur du Notariat.

Cependant le Conseil National des Barreaux est montré avec un bilan non négligeable : RIN, RPVA, publicité fonctionnelle régulière, acte d’avocat, Centres de recherche et d’Etudes des avocats (CREA).

Faut-il alors envisager un Ordre national (p. 252) ? En réalité l’élection au suffrage universel ne règlerait rien tant qu’il n’aurait pas le pouvoir de prendre des positions politiques (p. 257).

Faut-il une représentation nationale sans les Ordres ? En toute hypothèse cela n’est pas envisageable tant l’attachement des avocats aux Ordres est un sentiment puissant et majoritaire.

Dans l’immédiat des mesures peuvent être envisagées. Les anciens bâtonniers n’y ont pas forcément leur place car il ne représentent qu’eux-mêmes. Différentes pistes sont abordées pour la représentativité (p. 260).

La représentation nationale gagnerait également en force en absorbant ce que l’on appelle les organisations techniques comme l’Union Nationale des CARPA (UNCA). Montrant l’étendue des services qu’il rend, le CNB en sortirait renforcé.

On en voudrait encore à Thierry Wickers s’il ne se penchait pas sur la formation des avocats. Dans un ouvrage préfacé par l’auteur de « La cuisine du droit » (C. Jamin, LGDJ 2012) cela commence par une critique de l’enseignement prodigué par les facultés. L’exemple de l’Ecole de Droit de Sciences Po montrerait qu’il n’est pas nécessaire de prévoir au moins cinq ans pour former de bons professionnels. Cela libèrerait du temps pour l’apprentissage d’autres connaissances (p. 284).

Puis est abordée la question d’une grande profession du droit. Celle-ci inclurait les conseils de propriété industrielle, les juristes d’entreprises et les notaires (p. 297). Cette grande profession a les faveurs de l’auteur, mais celui-ci reste sceptique sur les possibilités de l’engendrer, hors de circonstances fortuites.

En terminant l’auteur estime que la profession doit adopter une véritable stratégie tournée vers le public (p. 316). Les Ordres doivent encourager les avocats qui veulent communiquer et non les décourager. Cette communication doit porter sur les prix, les méthodes de facturation, les prestations. Pour développer l’offre sur internet, il faudra investir massivement, ce qui pose la question de l’accès aux capitaux extérieurs.

La conclusion s’impose alors (p. 331) : « Les avocats appartiennent indiscutablement à l’ancien monde, celui qui est en train de disparaître, mais ils ont leur place dans le nouveau, celui qui est en train de naître. A une condition, démontrer qu’ils la méritent, en accomplissant la tâche qui est la contrepartie de leurs privilèges, assurer l’accès de tous au droit et à la justice ».

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Cette lecture est rafraîchissante, car sans provocation, mais en cherchant à chaque fois à démontrer, à illustrer en recourant massivement au droit comparé, Thierry Wickers veut convaincre et y parvient souvent. Qu’il en soit remercié !

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