Affaire à rebondissements où, malgré l’anonymisation, on reconnaît sans difficulté les acteurs.
L’affaire jugée il y a quelques jours par la Cour de cassation avait déjà été relatée sur ce site quand la Cour européenne des droits de l’homme s’était prononcée le 23 avril 2015 en faveur du droit d’expression de l’avocat, en l’occurrence Maître Olivier Morice, du Barreau de Paris.
Un premier arrêt de la Cour de cassation (Crim. 12 octobre 2004, n° 03-83306) avait rendu définitive la condamnation de l’avocat et celle d’un journaliste du Journal Le Monde, avec le directeur de la publication.
Dans son édition du 7 septembre 2000 le quotidien avait fait paraître un article intitulé « Affaire Borrel : remise en cause de l’impartialité du juge C…. ».
Cet article était pour le moins critique à l’égard de deux magistrats chargés d’un transport sur les lieux qu’ils avaient effectué à Djibouti. L’avocat était intervenu auprès du Garde de Sceaux et la démarche était relatée par le journal pour reprocher aux deux magistrats leur manque d’impartialité et de loyauté.
En droit interne la condamnation de l’avocat comme complice de diffamation pouvait se comprendre. L’avocat n’était pas protégé par l’immunité judiciaire, celle qui résulte de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881. En effet la lettre ne marquait pas la saisine d’une juridiction, mais l’invitation à ouvrir une enquête de l’inspection générale des services judiciaires sur les dysfonctionnements imputés aux deux juges d’instruction.
Cette décision ayant été mise à mal par la Cour européenne des Droits de l’Homme, l’avocat était fondé à introduire un recours en révision et l’arrêt qui vient d’être rendu, en assemblée plénière, casse la décision de 2009, sans renvoi, en ce qui concerne seulement l’avocat.
Faisant sienne l’appréciation de la juridiction européenne, la Cour de cassation retient que « les propos litigieux, qui portaient sur un sujet d’intérêt général relatif au traitement d’une affaire criminelle ayant eu un retentissement national et reposait sur une base factuelle suffisante… ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d’expression d’un avocat dans la critique et le jugement de valeur portés sur l’action des magistrats et ne pouvaient être réduits à la simple expression d’une animosité personnelle envers ces derniers ».
Cet arrêt peut être considéré comme majeur dans la définition des droits et devoirs reconnus à l’avocat en matière de liberté d’expression. Dans une affaire où la thèse du suicide d’un magistrat français en disponibilité à Djibouti est vivement contestée, contestée judiciairement depuis près de vingt ans, l’expression de l’avocat s’insérait dans une stratégie globale, même si elle ne se traduisait pas, au sans strict du terme, dans des débats judiciaires.
Une nouvelle fois cet épisode, s’il traduit une indépendance de l’avocat qui n’est pas sans courage, attriste ceux qui pensent que la raison d’Etat ne peut être une entrave à l’œuvre de justice.