Le Conseil national des barreaux a été créé par une loi du 31 décembre 1990. Dans ses missions institutionnelles figure l’unification des règles de la profession d’avocat. Dans un avis du 22 octobre 2015 rendu à la demande du gouvernement le Conseil d’Etat a considéré que les Ordres et le Conseil national des barreaux devaient être regardés comme « des organismes chargés de la gestion d’un service public ».
Recevant une fonction normative, le Conseil national des barreaux a le pouvoir de faire la loi au sens commun, mais assurément il n’a pas la compétence pour la modifier, à fortiori pour agir contra legem.
Le Conseil d’Etat l’a jugé rapidement après la création de l’organisme (CE 17 nov. 2004, req. 268075, 268501, Lebon ; Martin « Heurs et malheurs du règlement intérieur unifié », JCP 2005, act. 501 ; Pontier « Les limites du pouvoir règlementaire du Conseil national des barreaux », AJDA 2005, 319).
Dans cet arrêt du 29 janvier 2018 le Conseil d’Etat annule l’article 1er de la décision des 1er et 2 juillet 2016 du Conseil national des barreaux. Celui-ci modifiait l’article 15.2.2 du règlement intérieur national de la profession d’avocat (R.I.N.). Pour l’avenir les avocats auraient été autorisés à installer un bureau secondaire dans les locaux d’une entreprise.
Le recours était introduit par la Conférence nationale des Bâtonniers, une association d’avocats collaborateurs ainsi qu’un certain nombre de barreaux parmi lesquels on aura plaisir à saluer des barreaux relevant de la Conférence régionale des bâtonniers de l’Ouest : Brest, Laval, Lorient, Nantes, Rennes, Saint-Brieuc et Saint-Nazaire.
La décision du conseil national des barreaux avait été prise dans des conditions qui pouvaient paraître discutables au plan de la démocratie professionnelle, manifestation parmi d’autres de l’organisation démocratique de notre société.
Toutefois l’analyse du Conseil d’Etat se situe à un autre niveau qui mérite d’être rapporté : « Le Conseil national des barreaux ne peut légalement fixer des prescriptions nouvelles qui mettraient en cause la liberté d’exercice de la profession d’avocat ou les règles essentielles qui la régissent et qui n’auraient aucun fondement dans les règles législatives ou dans celles fixées par les décrets en Conseil d’Etat prévus par l’article 53 de la loi du 31 décembre 1971, ou ne seraient pas une conséquence nécessaire d’une règle figurant au nombre des traditions de la profession ». Voilà qui s’appelle une motivation de principe.
Sur le fond le Conseil d’Etat observe que les nouvelles conditions d’exercice en entreprise « sont susceptibles de placer les avocats concernés dans une situation de dépendance matérielle et fonctionnelle vis-à-vis de l’entreprise qui les héberge et mettent ainsi en cause les règles essentielles régissant la profession d’avocat d’indépendance et de respect du secret professionnel… ». C’est rappeler que la profession d’avocat, au nom « des principes essentiels » a une âme que la loi protège et cherche à sauvegarder.
On espère que les cicatrices de ce contentieux se refermeront rapidement, ce que le changement de présidence à la tête du Conseil national des barreaux devrait favoriser. Ainsi l’on soulignera qu’à Paris, lors de l’assemblée générale de la Conférence des Bâtonniers, le 26 janvier 2018, l’avant-veille de l’arrêt du Conseil d’Etat, en présence du Garde des Sceaux, le nouveau triumvirat qui porte la parole de la profession, constitué par le Conseil national des barreaux, la Conférence nationale des Bâtonniers et le Barreau de Paris, a affiché son unité « Le moment où le vent se lève, le moment des réformes, n’est pas le moment de se diviser » (JCP 2018, n° 164)